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J'voulais quand même vous dire...
1 juin 2006

Pour un instant ailleurs2

    Seconde partie de "Pour un instant ailleurs:Destins croisés"

    « Ca va ? demanda Céline d’un ton un peu brusque.

    Karl sursauta. C’était les premiers mots qu’elle lâchait depuis la pause du déjeuner ; d’ailleurs, depuis leur départ, la matinée de la veille, elle s’était bornée au minimum. Il avait respecté son silence, malgré son naturel bavard.

    « Ca va. Et vous ? répondit-il.

    _Nous dormirons à la lisière de la forêt, fit-elle en évitant la question de Karl.

    Il y vit ses pires craintes confirmées. Quel mal ne lui avait-on pas dit de cette forêt du Diable ! Lors de son enfance, les adultes occupaient leurs longs soirs d’hiver à conter une histoire qui le terrifiait. Sa grand-mère était une jeune fille à marier au moment où l’évènement avait eu lieu, et elle se plaisait à le raconter :

    « Il y avait en ce temps-là, disait-elle d’un ton lugubre en remuant les braises crépitantes, une famine si terrible que le village avait été décimé de plus de la moitié de sa population. Les survivants n’avaient que la peau et les os, ils mangeaient leurs habits, n’ayant rien de meilleur à se mettre sous la dent. Aussi, un villageois qui y avait perdu sa famille, décida à ses risques et périls de s’en aller quérir, à la forêt, le Diable lui-même. Ce dernier possède en effet des pouvoirs immenses, malheureusement utilisés à mauvais escient.

    Il partit à l’aube naissante, armé seulement d’un casse noix et d’un drapeau blanc. Il nourrissait le fol espoir de faire pitié au Diable. Il marcha un jour et une nuit afin de parvenir à la forêt ; il y pénétra sans hésitation. La fatigue lui donnait de l’assurance. Autour de lui, une foule de bruits inquiétants se faisaient entendre, n’éprouvant pas pour autant le moral du courageux villageois. D’ailleurs, à cet instant, plus rien ne semblait pouvoir lui faire peur.

    « Diable, appela-t-il. Vient donc me rejoindre dans ta forêt de malheur. »

    Il agita son drapeau blanc, en signe de paix. La forêt bruissa plus fort que jamais ; des ombres mouvantes se profilèrent derrière les arbres. Une heure passa, peut-être plus, sans que le Diable ne paraisse, ni que les bois ne se taisent. Perdant toute sa patience, le villageois cria encore plus fort.

    « Que me veux-tu, pauvre Humain ? fit une voix grave et doucereuse derrière lui. A hurler ainsi, tu réveillerais tous les démons de l’Enfer !

    L’homme sursauta et se retourna lentement. Alors il le vit, nonchalamment sur un arbre, en train de torturer une petite fleur : le Diable tel qu’on le lui avait décrit. Pour la première fois depuis son départ, il eut peur. Cependant, il garda contenance.

    _Ce que je te veux, le Diable ! s’exclama-t-il. Eh bien c’est ton aide que je désire, afin de sauver mon village de la famine et…

    _ Que me proposes-tu en échange ?

    _Que voudrais-tu ?

    _Que sais-je ! Des âmes, des gens à faire souffrir, des enfants à manger…

    _Je te donnerai ce que tu désires, mais sauve d’abord mon village, fit le villageois.

    Le Diable s’exécuta, et l’abondance de récoltes nous revint par enchantement. Jamais nous n’avions eu l’espoir qu’il réussisse. Cependant, dans la forêt, notre confrère se préparait à donner son dû au Diable.

    _C’est mon âme que je te donne, mais tout d’abord approche, que je te livre un secret…

    Le Diable ricana, connaissant parfaitement les moindres intentions de son interlocuteur, et fit semblant de se préparer à écouter. Le villageois cachait, dans son dos, le casse-noix et une noix de bonne taille. Lorsque le Diable fut assez proche, d’un geste rapide et précis, il lui cassa la noix à la figure, et prit ses jambes à son cou.

    Mais le Diable éclata d’un grand rire spectral, qui emplit la forêt entière, pénétrant chaque être au plus profond de lui-même.

    Hélas, finissait la vieille, ce ne fut que mort que notre compatriote sortit de la forêt. Des voyageurs le retrouvèrent, dégoulinant de sang, meurtri et torturé. Quant à l’abondance pour laquelle il avait payé si cher, elle se tarit aussi vite qu’elle était venue, nous laissant à nouveau dans la misère… »

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