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J'voulais quand même vous dire...
9 septembre 2006

Tomorow never comes /1

   « Tomorrow never comes… » : Ces quelques mots entendus par hasard dans une chanson étaient revenus si souvent dans sa vie… Claire y songeait, tout en observant son reflet dans la glace de la salle de bain. Qu’était-il advenu de la jolie jeune fille pétillante de gaité qu’elle avait été ? Sur son visage d’ordinaire si souriant, une expression de lassitude tirait ses traits. La fatigue et l’ennui l’accablaient ; ses paupières alourdies retombaient sur ses yeux soulignés de cernes noirs. Ses joues rougies par le soleil semblaient perdre de leur et éclat et virer sur un rose verdissant. Elle distinguait le léger sillon d’une ride entre ses deux sourcils dégarnis ; il était presque imperceptible, mais bien présent, creusé par ses peines et ses soucis d’adolescente. Sa bouche se tordait en une moue maussade et dédaigneuse, et ses lèvres desséchées en paraissaient épaissies. Elle avait un regard si vide et inexpressif qu’on aurait presque pu la croire morte, et ses deux yeux aux couleurs changeantes bougeaient avec moins de vivacité, un peu comme s’ils avaient vieilli. Sa lourde tignasse de cheveux châtains coupés au-dessus des épaules étaient désordonnés à un tel point qu’on ne pouvait y discerner la raie, tracée sur le côté droit. Des mèches rebelles volaient en tous sens. Ils étaient sales et ternis par le manque de soin ou la négligence.

    Claire haussa les épaules, et rit, d’un rire amer, sans joie, qui sonnait faux. Elle avait l’impression de ne pas connaître la personne qui la regardait avec tant d’insistance dans la glace. Comme si elle avait lu dans sa pensée, l’inconnue ricana silencieusement et une lueur méprisante s’alluma dans ses yeux ; les deux jeunes filles n’éprouvaient aucune envie de faire connaissance et se le montraient bien.

    « Que tu es bête !, se dit Claire en tournant le dos à son reflet. De toute façon, tu n’as pas d’autre choix que de balader cette carcasse, aussi immonde soit-elle, pour cacher le gris de ton âme et ton petit cœur trop emporté. Et puis souviens-toi de ce que tes grands-parents t’ont dit, ainsi que tes parents, et ce que devais penser Wolverine quand… Non, je ne tiens pas à y songer, c’est fini ! »

    Sur ce, elle estima que, jusqu’à la prochaine fois qui tardait rarement, le débat était clos. Elle enfila sa nuisette rose, rassembla ses habits épars, et quitta la salle de bain en lançant à travers la maison : « Au suivant pour la douche ! ». Satisfaite, elle ouvrit la première porte à sa droite et s’enferma à l’intérieur de la chambre qu’elle occupait dans ce gîte des Pyrénées que ses parents avaient loué pour deux semaines de l’été. C’était une pièce dont les dimensions se trouvaient fortement réduites à cause du spacieux lit à deux places placé en son centre. Dessus étaient jetés dans le plus grand désordre des habits froissés, un cahier bleu portant une étiquette « Espagnol », un lapin gris en peluche et un sac de couchage dont l’intérieur jaune vif et bleu marine jurait affreusement avec les couleurs blanches et vert pâles de la pièce. Deux tables de nuit encadraient ce bazar ; sur l’une était posée une pile de CDs divers, accompagnés d’une lampe de poche, d’une crème hydratante et de la lampe de chevet vert tendre. Sur l’autre, quelques mouchoirs accompagnaient une lampe de même aspect. Au bout du lit, un placard de bois clair contenait les habits de Claire, posés au hasard de ses gestes, mais pliés, grâce aux bons soins de sa mère. En face de la porte, une fenêtre recouverte de voilages verts prairie laissaient passer en douceur les rayons du soleil de ce début de soirée, baignant la chambre dans une lumière diffuse et calme. Un tableau ornait le mur de plâtre blanc ; il représentait une rose rouge sur un fond gris foncé.

    Claire se laissa tomber sur son lit et bailla sans retenue, les yeux fixés sur le plafond incliné, aux poutres de bois. Pour ses parents, le mot « vacances » avait, à n’en point douter, un sens totalement différent de celui que la jeune fille lui donnait. Ce terme exprimait pour elle la fin des contraintes scolaires et la détente ; lorsqu’elle y pensait, elle voyait la mer d’un bleu profond caresser le sable blanc et fin de la plage, sous l’œil chaleureux du soleil. Les dunes et les palmiers lui cachaient le reste du monde, formant un puissant rempart qui arrêtait toutes ses angoisses. Quelques oiseaux aux couleurs vives chantaient la joie de vivre du haut de leur perchoir et s’envolaient en un arc-en-ciel de plumes. L’air était doux et iodé. Les pieds dans l’eau, un groupe d’adolescents jouaient au ballon et s’éclaboussaient en riant aux éclats ; parmi eux, on apercevait une jeune fille au sourire radieux qu’un garçon au teint bronzé et aux abondantes boucles brunes tenait dans ses bras…

    Claire rouvrit les yeux, abandonnant l’image de cette plage tropicale au charme incontestable. Avec ses parents, ni mer, ni sable, ni amis : depuis plusieurs années, leur famille partageait son mois d’août entre les randonnées en montagne et les balades à vélo en Vendée. Il était impossible de faire connaissance avec quiconque d’intéressant ; les muscles surmenés souffraient chaque jour un peu plus et les chutes étaient courantes, presque inévitables. Les jours de repos ne pouvaient pas être considérés comme une véritable trêve : en effet, leur but portait à visiter le plus de monuments, églises, musées, châteaux et autres tas de pierres en plus ou moins bon état, en une journée. Le reste du temps, pourvu qu’il y en ait, se trouvait perdu entre les attentes interminables pour prendre les douches et les inévitables devoirs de vacances. Si les deux jeunes frères de l’adolescente ne paraissaient pas se plaindre de leur sort, Claire était lassée de ce genre de vacances et ne trouvait que peu de consolations. Pourtant, de voir ses parents si heureux l’empêchait de se révolter, et pour ne pas leur faire de peine, elle tentait de se résigner et de faire contre mauvaise fortune bon cœur, pour ces quatre semaines de l’année. Heureusement, sans qu’elle en soit réellement consciente, quelque chose qu’elle possédait au plus profond d’elle-même lui rendait la vie meilleure et plus intéressante, du moins pour le moment…

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